Épilogue
J’éprouve pour finir le besoin de revenir à nouveau sur ce que
d’aucuns estimeront peut-être ne pas avoir été cerné avec assez
de fermeté. Le bonheur qui a été le mien de vivre avec Lola comme
l’effort qu’il m’a fallu accomplir de vivre sous son toit dans
sa familiarité, son départ survenu ; la mort de Sophie, ma jumelle
apparemment vécue par elle dans un éblouissement ; la connaissance,
enfin, que j’ai eue il y a peu, à l’hôpital, de ma propre mort
côtoyée de près. Autant de circonstances qui me permettent
d’affirmer que partir peut, en effet, se solder par une joie
profonde. On ne me croit pas. Pourquoi, dès que ce sujet de la mort
surgit cherche-t-on tant à s’aveugler ? Pourquoi, comme on ne le
croit toujours que trop, y aurait-il davantage de raisons de
s’affliger de partir qu’il n’y en a de se sentir comblé ? En
toute logique, il n’est rien qui ne nous convie à penser le
contraire. Mieux encore : on ne saurait nier que, pour peu qu’elle
soit naturelle, la mort est un accomplissement de soi qui nous fond à
la splendeur du monde telle que le ciel étoilé d’une nuit d’été
nous en donne une idée.
Ce que, sans conteste, nous éprouvons à la crête de l’orgasme,
d’avance nous dit de quoi la mort est faite, de quelle lumière, de
quel éblouissement. Ne serait-ce que du fait de cette vision on peut
avancer que non seulement un avant-goût de la mort nous est donné
de notre vivant mais une connaissance pleine et entière. Ce que je
dis là a même sa transcription graphique. Faute de la voir
représentée ici il n’est pas difficile de l’évoquer. Pour ce
faire il n’est en esprit que de transcrire dans un caractère
antique sans empattement, le mot inouï reproduit huit fois, les
lettres disposées en étoiles autour de la lettre O. C’est alors
que, le sens du terme aidant, on disposera de la représentation
relativement fidèle du resplendissant soleil qui occupe notre regard
à l’instant de l’orgasme amoureux. Alors la gloire de l’astre
fait écho à celle que nous tirons du fait d’être aimé. La seule
différence de l’amour que nous éprouverons à l’instant de la
mort d’avec celui que nous ressentions lorsque nous n’étions que
vivants est que, lui, sera véritablement éternel.
« Nous nous sommes aimés jadis en rêve, et, à présent, nous
nous aimons jusque dans la mort.
– C’est le miracle du dieu amour.
– Qu’est-ce que le rêve ? Qu’est-ce que la mort ?
– De simples mots. L’amour seul est vérité. Je t’aime
éternelle beauté. »
Henrich Heine le dit implicitement : si l’amour introduit la vie
il assure aussi un avant-goût de la mort. Comme tous ceux qui
écrivent, Heine est en effet doté d’un moyen que n’ont pas les
autres de savoir quelle sorte de conscience sera la nôtre une fois
la mort venue. Ces boucles qu’il dessine, ces mots qu’il forge,
cet emportement consécutif aux phrases ou, a fortiori, aux vers
qu’il façonne, mettent jusqu’à l’envahir tout entier, le ciel
dans sa vie. La griserie qu’il en tire le rend tout à la fois
absent et, dans le même temps, plus présent au monde qu’il ne l’a
jamais été. Je le dis comme je l’ai éprouvé : écrire c’est
savoir non seulement ce qu’être mort signifie mais encore que
c’est avec bonheur que nous vivons l’éternité.
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