Typoèmes
Né dans une famille de fondeurs typographes
(la création de la société Deberny-Peignot
date du XIXe siècle), Jérôme
Peignot a inscrit son uvre poétique dans une
relation à l'écriture au sens concret du terme
(avec entre autres Le Petit Peignot, Petit traité
de la vignette ou Typoésie). Dans son dernier
recueil, Typoèmes mot valise unissant
typographie et poèmes , l'auteur poursuit
son investigation du monde des signes, donnant forme à
une « poésie visuelle » qui prend
le langage dans sa matérialité et interroge
le sens de la figuration typographique de la lettre elle-même.
Ici nous est donc proposé un voyage à travers
éperluettes, accolades, paragraphes, chiffres, lettres,
virgules, points, parenthèses, apostrophes, portée
musicale
pérégrinations à travers
rosaces de lettres, alphabets croisés, palindromes,
dans différentes contrées, « Vers
une nouvelle grammaire », « Typoèmes
amoureux », ou « Typocédaire ».
Véhiculer le concret
Jérôme Peignot explique dans
un entretien : « L'écriture est
née d'une obsession : véhiculer le concret.
On a commencé par dessiner des images avec les pictogrammes
ou les hiéroglyphes puis, peu à peu, on y a
associé des sons qui ont pris le pas sur l'image, faisant
passer le tout du concret à l'abstrait » et
précisément Peignot a « cherché
à revenir à une écriture pictographique ».
Avatar du calligramme, la typoésie est un retour au
concret contre l'abstraction du signe, une quête sur
le lien entre signifiant et signifié. En quoi la forme
d'une lettre recèle-t-elle un sens propre ? Quelle
est la motivation d'un signe ? La poésie visuelle
et concrète travaille la langue dans ce désir
de retrouver ou d'accéder à l'union du sens
et de la forme l'exprimant, la langue de l'Éden. «
on
est en droit de se demander si l'arbitraire seul a présidé
à la configuration graphique de notre langue. Plus
ou moins consciemment, ceux qui l'ont forgée n'ont-ils
pas cherché à ce qu'un lien graphique demeure
entre le signifiant et le référent ? (
)
ne serait-on pas bien inspiré de poursuivre ses investigations
plus avant encore et de trouver l'étymologie graphique
des êtres et des choses ? », écrit
Jérôme Peignot en préface de Typoèmes.
Certes s'interroger sur le lien typographie-langue,
signification de la matérialité de l'écriture,
ce travail dans l'espace du lisible / visible, remonte
loin dans l'histoire de l'écrit et semble répéter
la quête de sens que suscite l'énigme de la distribution
des espaces blancs et des paragraphes dans les textes sacrés,
en particulier tels qu'ils apparaissent dans le texte hébreu
de la Genèse. La mosaïque des blancs dans une
page typographiée du Coup de dés
de Mallarmé peut être lue d'un point de vue théologique
(voir à ce sujet Meschonnic).
Au-delà des espaces blancs dans l'écriture,
par quels moyens Jérôme Peignot parvient-il « à
un nouveau matin du signifié » ?
Une des méthodes consiste à revenir aux locutions
pour être au cur du concret. Un exemple parmi
tant d'autres, le typoème « Comment nier
que mon pays compte beaucoup ? » Paysage
de montagnes dessiné de chiffres jusqu'aux cimes et
aux nuages que résume le signe de l'infini par la masse
imposante d'un 8 couché en travers de la page.
Jérôme Peignot ne se livre pas
à un jeu formel, il délivre les formes d'un
sens qui échappe au premier regard, à l'inattention
du lecteur, à l'habitude de ne voir dans les lettres
qu'un dessin dénué de signification en soi.
Philippe Barrot, 2004, p. 11. « Typoèmes ».
La quinzaine littéraire. Juin.
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