CHAPITRE I. LES POINTS SUR LES « I »
DU MOT SOCIALISME
À
propos de cette méconnaissance quasi générale, du moins en France,
à l’endroit de Pierre Leroux, on peut relever que, de son vivant
déjà, on s’était employé à diminuer le plus possible la portée
des propos du premier des penseurs socialistes. De cette sorte de
complot, on trouve la trace dans ce qui est dit de Pierre Leroux dans La nouvelle biographie générale 4, publiée
en 1863. La manière dont les faits y sont retranscrits est
significative et voici presque intégralement la notice sur Leroux :
« Philosophe
et économiste français, Pierre Leroux naquit à Paris en 1798. Fils
d’un artisan, il commença ses études au Collège Charlemagne et
les continua à Rennes. Reçu à l’École polytechnique, il renonça
au bénéfice de son admission pour se consacrer au soutien de sa
famille. Son père venait de mourir et sa mère, réduite à une
extrême pauvreté, ne pouvait suffire à élever les trois jeunes
enfants qui restaient à sa charge. Demandant au travail manuel des
moyens d’existence, il se fit d’abord maçon. Peu de temps après,
il entra comme compositeur dans une imprimerie de son cousin et
devint ensuite prote dans l’imprimerie Panckoucke où il inventa un
appareil mécanique destiné à faciliter le travail des ouvriers
compositeurs et qu’il appela “Pianotype”. Mais faute d’être
pratique, cette invention dut être abandonnée. En 1824, Pierre
Leroux fonda avec Messieurs de la Chevardière et Dubois 5, Le Globe, qui en 1831,
se fit l’organe du saint-simonisme. Il se sépara de Monsieur
Enfantin 6, apôtre de la doctrine
nouvelle au sujet de l’affranchissement de la femme et des
fonctions du couple – prêtre. Leroux s’essaya à son tour au
rôle de novateur dans quelques articles de l’Encyclopédie
Nouvelle, mais surtout dans trois ouvrages, publiés de
1838 à 1840 sous les titres : De l’égalité ; Réfutation de l’éclectisme et
surtout De l’humanité. Le
système qu’il y développe n’est que la reproduction confuse des
théories pythagoriciennes et bouddhistes, mêlées d’idées
saint-simoniennes. »
Puis
s’en étant pris aux idées de Leroux relatives à la « triade », l’auteur de cette notice poursuit : « Suivant
Monsieur Leroux, l’homme créé en vue de cette terre n’est pas
destiné à avoir un autre séjour ; il y a déjà vécu et il y
vivra, il y recommencera dix, vingt, trente existences sous des noms
et en des pays divers, tantôt insecte comme la chrysalide, tantôt
brillant comme un papillon, allant chercher l’oubli dans la mort
afin d’y puiser les conditions nécessaires pour une renaissance.
Dès lors, plus de vie future mais des vies successives ; plus
de paradis ni d’enfer mais simplement la terre en vue de laquelle
l’homme a été créé… Ce système d’une rénovation terrestre
se reproduisant à l’infini dans un cercle uniforme, s’il n’est
pas très neuf, n’a pas non plus le mérite d’être très
consolant pour l’humanité. Ajoutons que pour compléter sa thèse,
Pierre Leroux nie la distinction de l’âme et du corps et
l’individualité de la personne humaine. Quant à son système
d’économie sociale, Monsieur Leroux est beaucoup moins net et
facile à saisir. Il entend conserver la propriété, la famille et
la patrie, mais il trouve à ce triple élément de la société
actuelle le grave inconvénient de créer un despotisme universel, la
famille, en reconnaissant des pères et des enfants; la propriété,
en reconnaissant les pauvres et les riches ; la patrie des chefs
et des sujets. Pour obvier à ces vices de l’organisation sociale,
Monsieur Leroux imagine des combinaisons spéculatives dont
l’application pratique échappe complètement et d’après
lesquelles la propriété, la famille et la patrie devraient être
maintenues mais ne créeraient plus ni héritiers, ni propriétaires
ni sujets : partout devrait régner l’égalité la plus
absolue et l’homme se développerait au sein de la société
rénovée sans être soumis à aucune autorité. Il y a, on le voit,
dans ces théories, autant de ténèbres que d’erreurs.
Le
style de Monsieur Leroux ne brille pas non plus par la clarté et il
est peu fait pour élucider la pensée. Il est difficile d’imaginer
une manière d’écrire à la fois plus abstraite et plus
tourmentée. Pour montrer jusqu’à quel point l’auteur a pu
porter l’exagération de ces défauts, il suffit de rappeler la
définition qu’il a prétendu donner de l’amour : “l’amour,
dit-il, est l’idéalité de la réalité d’une partie de la
totalité de l’Être infini, réuni à l’objection du Moi et du
Non-Moi; car le Moi et le Non-Moi, c’est Lui”. Si
Monsieur Leroux n’avait eu pour disciples que ceux qui pouvaient
comprendre de semblables définitions, c’eût été un réformateur
peu dangereux. Malheureusement il fit partager ses idées à un
écrivain doué d’une grande puissance de style et possédant un
talent singulièrement propre à charmer et impressionner les
masses : l’union philosophique de Monsieur Leroux et de Mme
George Sand fut cimentée par la création de la Revue
Indépendante qu’ils fondèrent ensemble et dans laquelle
ils firent paraître de nombreux articles et vers le même temps,
Madame George Sand écrivit quelques romans destinés à populariser
ses doctrines humanitaires ; tels sont Consuelo,
Spiridion, Le péché de Monsieur Antoine, Le Compagnon du Tour de
France… »
Après
avoir fait part de l’existence de cette imprimerie que Leroux « qui
avait obtenu du ministère de l’Intérieur son brevet
d’imprimeur », avait fondée à Boussac, dans la Creuse,
l’imprimerie de laquelle devait sortir nombre de publications dont
l’Éclaireur et la Revue Sociale, le rédacteur de la notice, avec
ce ton, tout en insinuations qui lui est propre, poursuit : « Illusionné par quelques manifestations populaires,
notamment à Limoges, il crut son règne arrivé. Il fit son entrée
à Paris sous le costume pittoresque du paysan de la Creuse. Le
gouvernement ne le prit pas au sérieux ; mais les attaques du
National troublèrent Monsieur Leroux au point qu’il se hâta de
regagner sa province. Il arriva juste à temps pour proclamer la
République à Boussac et le 25 février, il fut nommé maire de sa
commune. Revenu à Paris peu de temps après, il reçut un chaleureux
accueil de la part des ultra-républicains. Compromis dans l’affaire
du 15 mai, il fut condamné à l’emprisonnement ; après une
détention de trois jours, il fut rendu à la liberté par Monsieur
Caussidière 7. Le 4 juin 1848,
Monsieur Leroux fut envoyé à l’Assemblée Constituante par
quatre-vingt-dix mille suffrages. Il parla dans cette Assemblée de
l’organisation du travail, de la colonisation de l’Algérie, etc.
Mais sans aucun talent d’orateur, il ne réussit guère qu’a
divertir l’Assemblée par des propositions théoriques
irréalisables et qui devaient paraître assez excentriques à tous
ceux qui n’étaient pas initiés à ses doctrines. »
Enfin,
après avoir mentionné que Leroux fut réélu à l’Assemblée
législative, ce petit plaidoyer tout plein de fiel se termine
ainsi : « … Monsieur Pierre Leroux s’est marié
deux fois et il eut neuf enfants de son double mariage : toute
la famille est aujourd’hui établie dans une ferme près de
Saint-Hélier où Monsieur Leroux s’occupe surtout d’expérimenter
une nouvelle espèce de guano dont les maraîchers de l’île…
Jersey… auraient, paraîtrait-il, retiré des résultats assez
avantageux. »
Que
Leroux ait, à Jersey, rencontré Victor Hugo et que les deux hommes
aient sympathisé; que même, le poète ait vu en lui un homme avec
la pensée de qui il fallait compter, de cela, dans cette note, pas
un mot. On peut toujours tout abaisser : il ne faut pour ce
faire, qu’une certaine vulgarité de pensée : l’aristocrate
bibliographe auteur de la notice, qui a pour nom J. Robert de Massy
n’en manque pas.
Pour
commencer, on ne saurait mieux faire que de donner la parole à
Leroux lui-même, qui d’un seul paragraphe à propos de l’année
de sa naissance, en dit l’essentiel : « Je suis né
vers le temps où la Convention luttait contre le négociantisme
anglais, le 6 avril 1797 [… et non 1798…], où Saint-Just
dénonçait à tous les peuples de la terre la Carthage moderne. Et
je vois la France carthaginoise et le négociantisme au gouvernement,
ou, comme on dit aujourd’hui, aux affaires ! Aurait-on jamais
imaginé, il y a quelque cinquante ans ou même plus tard sous
l’Empire, ou plus tard encore sous la Restauration qu’on
appellerait “affaires” le gouvernement ! Tout est change,
vous le voyez bien, mes amis, tout est change, jusqu’a la langue. 8
Dans La Grève de Samarez, l’ouvrage phare de Leroux (1863) 9,
on peut lire que Leroux est alors à Jersey lorsque Victor Hugo lui
fait parvenir le pamphlet qu’Eugène de Mirecourt a écrit contre
lui 10. Hugo, s’est mis en tête d’inciter Leroux
à écrire ses Mémoires 11. Lisant ce méchant
écrit, pense le poète, l’envie viendra à Leroux de répondre à
son contradicteur. Que découvre Leroux dans sa propre biographie ? « Comme écrivain, Pierre Leroux a un style ténébreux dont
nous devons donner un spécimen. » Suit l’invraisemblable
galimatias cité dans La Nouvelle Biographie Générale. Malheureusement pour son rédacteur, sitôt qu’il a lu cela,
Leroux répond : « Ah, voilà qui est fort !
M’attribuer effrontément une phrase qu’assurément je n’ai
jamais écrite et que pas un chat ne saurait comprendre. »
Il
est des êtres auxquels on ne donne pas d’âge. On n’imagine pas
plus Leroux jeune que vieux : on le voit avec cet âge qui est
celui des hommes qui, nés avec la Révolution, ont déjà eu le
temps d’en revenir. Le voici, en tous les cas tel que le décrit
Émile Baussy qui fit sa connaissance à Vence en 1865 12
:
« Dans
son intérieur patriarcal, Pierre Leroux avait la douceur d’un
enfant. Toujours d’humeur égale, il parlait souvent avec le
trémolo de l’émotion et charmait tous ceux qui l’approchaient
par la franchise et la bonhomie de ses manières. C’était un cœur
en permanente effusion qu’on ne pouvait connaître sans aimer et
aimer sans devenir meilleur. Quoique pauvre, sa bourse restait
ouverte comme son cœur. Je sais que dans les sombres jours de
décembre 1851, la Comtesse d’Agoult (Daniel Stern) 13 lui vint en aide pour l’aider à passer en Angleterre. Il rencontra
en route une pauvre famille d’ouvriers et ne put s’empêcher de
partager sa bourse. Toujours vêtu de noir, il portait une immense
redingote parfois bien luisante, un gilet descendant très bas et
boutonné jusqu’au cou (probablement pour cacher la chemise) ;
le cou était entortillé d’une large cravate blanche mal nouée, à
la mode du Directoire ; ses souliers étaient rarement cirés.
Ne se préoccupant jamais de ce qu’il avait à manger, il se
contentait de n’importe quoi et ne se rappelait pas le soir de ce
qu’il avait pris le matin Il écrivait beaucoup et son bureau de
travail consistait en deux planches de sapin retenues par des clous à
la muraille. Une caisse voisine contenait ses manuscrits non encore
publiés. » 14
Le
rôle que la typographie a joué dans la décision de Leroux de se
mettre à écrire est comme symbolisé par la manière dont il s’est
trouvé à la tête du Globe. C’était en 1823, il était
alors prote (chef d’atelier) à l’imprimerie de Louis-Toussaint
Cellot quand l’éditeur et imprimeur Alexandre Lachevardière,
qu’il connaissait de longue date, en devint propriétaire. Leroux,
qui avait alors poussé assez avant son projet d’un nouveau procédé
typographique, le proposa à son ami devenu son patron qui refusa de
financer le pianotype, mais accepta, en revanche et avec
enthousiasme, l’idée de Leroux de créer un journal dont le
premier numéro sortit le 15 septembre 1824. Pour le seconder dans sa
tâche de directeur, Leroux avait fait venir son ami d’enfance
qu’il avait connu au lycée de Rennes, Paul-François Dubois,
professeur de rhétorique au lycée Charlemagne de Paris, membre de
la Charbonnerie, Franc-Maçon et qui venait d’être exclu de
l’Université. Le propos du Globe était d’œuvrer en
faveur d’une union européenne des esprits. Dès lors, comment
faire montre d’exclusive ? Aussi, quand Dubois imposa
Sainte-Beuve, Sainte-Beuve qui, plus tard, raillera en la personne de
George Sand « l’admiratrice du pape
du communisme », ce même Sainte-Beuve qui « loin
des barricades, emportant à l’étranger sa gloire et son
parapluie » (Le
Charivari, 21 juin 1849), préféra s’exiler plutôt que de
partager le sort de la France de la IIe République,
Leroux ne dit rien. Chez Leroux, l’ouverture est sans arrière
pensée. À cette époque, il a déjà commencé à soutenir les
idées de Geoffroy Saint-Hilaire 15, lesquelles se
ramènent toutes à la notion « d’une unité de conception
organique », autrement dit, d’une harmonie préétablie à
laquelle on n’échapperait pas et dont il faut retrouver les lois
pour les mettre en application dans la société humaine. Cette
société « est en poussière parce que les hommes sont
désassociés, parce qu’aucun lien ne les unit, parce que l’homme
est étranger à l’homme. Et il en sera ainsi tant qu’une foi
commune n’éclairera pas les intelligences et ne remplira pas les
cœurs. » 16 Mais pour l’heure, trop
préoccupé de l’impression des textes des autres, Leroux écrit
peu. Néanmoins, avec ce qu’il dit, il frappe fort. Les thèmes
essentiels qu’il traite sont ceux de l’instruction primaire aux
frais de l’État, l’émancipation des artisans, l’appropriation
par les ouvriers des moyens de production.
Il
faut planter le décor : l’ancien chef du parti des émigrés,
le parti de ceux qui sont rentrés en France « sans avoir
rien oublié ni rien appris », le Comte d’Artois, devenu
roi de France sous le nom de Charles X, est au pouvoir. En dépit de
la victoire de Navarin sur la flotte égypto-turque (20 octobre
1827), de la chute du gouvernement Villèle et de son remplacement
par le ministère Martignac (1828), ce pouvoir chancelle. Après le
renvoi du cabinet Polignac, la Chambre est dissoute. Les élections
sont alors favorables à l’opposition. C’est donc dans ces
conditions que la rédaction du Globe s’est déclarée en
faveur de cette opposition. Le bailleur de fonds retire son argent,
Dubois est arrêté pour avoir publié un article prenant les
Bourbons à partie. Les fameuses Ordonnances scélérates de
juillet 1830 qui proclament la dissolution de la Chambre élue il y a
moins d’un mois, abolissent la liberté de la presse et réforment
le cens électoral sont promulguées. Leroux, resté seul au journal,
fait paraître une protestation. Un mandat d’arrêt est alors lancé
contre lui mais il n’en continue pas moins à se rendre à son
bureau comme à l’accoutumée. Défendu par ses collègues
typographes qui repoussent les agents venus l’arrêter, il se
maintient au journal. Bientôt, porte-parole de ceux qui, après la
victoire des barricades, demandent l’instauration de la République,
il donne une allure tout à fait officielle à son opposition. Élu
maire de Montrouge, il signe une adresse aux termes de laquelle il
faut arrêter le Duc de Chartres. Thiers balaya cette première
manifestation d’opposition populaire et Louis-Philippe devint roi
des Français. À l’occasion de cet événement, Leroux parlera « du transfert du pouvoir de l’aristocratie foncière à
l’aristocratie financière. »
Au Globe, Leroux avait alors un rôle qui ne lui convenait qu’à
moitié parce que cette place était celle du gérant et qu’il
était très exactement le contraire d’un patron. On le sent mal à
l’aise dans cet hôtel de la rue Monsigny où les bureaux du Globe se trouvent. Ses relations avec Sainte-Beuve, journaliste au Globe,
ne sont pas non plus vraiment simples. Certes, les deux hommes sont
d’accord pour promouvoir une nouvelle littérature qui tienne
compte des aspirations du peuple, mais tout commence à se gâter
lorsqu’on aborde le contenu exact de ces aspirations. En 1831,
Leroux et Sainte-Beuve pensent que, pour l’essentiel, le
saint-simonisme exprime bien ce contenu. Leroux parle de la doctrine
à des ouvriers du IXe arrondissement, enseigne la
parole de l’École à Liège, à Bruxelles, à Grenoble, à Lyon.
Sainte-Beuve se voit enjoindre de rallier le mouvement, mais,
bientôt, en bon individualiste littéraire, malgré une réelle
estime pour Leroux dont il apprécie tout particulièrement la
traduction de Werther, il n’entend pas se laisser entraîner trop
loin. Dès lors, Leroux qui croyait avoir trouvé en Sainte-Beuve un
frère, ne comprend plus. N’est-ce pas sous l’influence de
Leroux, que le critique s’était affilié à l’école
saint-simonienne ? N’est-ce pas encore sous l’instigation de
Leroux qu’il avait écrit Espoir et vœu du mouvement littéraire
contemporain (Le Globe, 1830), une manière de pamphlet
dans lequel il incitait les écrivains romantiques de l’époque à
traduire les aspirations du peuple ? Plus net encore :
Sainte-Beuve ne lui avait-il pas dédié sa traduction d’un sonnet
de Michel-Ange 17 ? Mieux, enfin, il suffisait
de comparer la façon dont ils concevaient l’évolution des idées
entre le XVIIe et le XVIIIe siècle et même
depuis la Renaissance, pour bien voir que, sur l’essentiel, ils
étaient d’accord. Sainte-Beuve n’avait-il pas souscrit à son
article intitulé « De la Loi
de la continuité qui unit le XVIIIe siècle au XVIIe » au point même de voir en lui une source d’inspiration pour son
futur Port-Royal ? L’un et l’autre étaient pourtant
d’accord pour affirmer cette idée d’une loi de succession et
d’enchaînement de tous les grands monuments du langage.
Sainte-Beuve était tout particulièrement intéressé par ce point
puisqu’il s’agissait de dégager le sens général de l’évolution
des littératures, et il y avait souscrit. En effet, plus tard, dans
un portrait qu’il fit de Madame de Staël, il devait même
reconnaître l’importance de la découverte faite par Leroux, de
l’existence dans la littérature du XVIIe siècle,
de l’idée de progrès. Enfin, et c’était encore un aspect de
l’étude de Leroux qui ne pouvait que retenir l’attention de
Sainte-Beuve, le philosophe avait, avec raison, relevé l’importance
considérable qu’avait eue la fameuse querelle des anciens et des
modernes dans l’avènement du mouvement philosophique de Voltaire à
Rousseau en passant par les Encyclopédistes. On objectera :
tout cela, Leroux ne l’avait pas encore écrit – l’article De la Loi de la continuité ne parut dans la Revue
Encyclopédique qu’en mars 1833 – et Sainte-Beuve ne
pouvait donc pas l’avoir lu, mais ils en avaient discuté. Là
n’était pas la raison de leur discorde.
Les
21, 22 et 23 novembre 1831 à Lyon, les canuts s’étaient révoltés
au cri de « vivre libres en travaillant ou mourir en
combattant ». Ce cri avait retenti dans toute l’Europe
qui avait pour la première fois, pris conscience que chaque homme
avait droit au travail et que ce travail devait le nourrir. Les
saint-simoniens n’avaient même pas pensé que le machinisme pouvait devenir une source de chômage. Allaient-ils remodeler leurs
conceptions philosophiques en conséquence ? Pas du tout. On
devait aller de l’avant et cette affaire n’était qu’une
affaire d’intendance. Ainsi ce cri des canuts de Lyon, tout indique
que Sainte-Beuve n’a pas voulu l’entendre. Et si, précisément,
c’était cela que Sainte-Beuve reprochait à Leroux : par sa
seule existence de le ramener sans cesse aux événements lyonnais de
novembre 1831, aux massacreurs de la rue Transnonain de 1834 qu’il
a laissé agir sans rien dire ? C’est vrai que, pour Leroux,
l’essentiel est là. « Chacun le sait, écrit-il, ce
n’est un secret pour personne, les grands mots d’ordre et de
justice ne cachent aujourd’hui que les intérêts des boutiques. La
boutique ne va pas, ce sont les novateurs, dit-on, qui l’empêchent
d’aller : guerre aux novateurs. Les ouvriers de Lyon
s’associent pour maintenir le taux de leur salaire : voilà
les intérêts de toutes les boutiques en péril par cet exemple :
guerre donc et guerre à mort aux ouvriers de Lyon, toujours au fond
de tout : les intérêts des boutique ». 18 Sainte-Beuve assimilé à un esprit de « boutique » !
C’est difficile à soutenir.
Quand
en novembre 1831 Leroux, qui s’était rebiffé contre les
atterrantes doctrines d’Enfantin en matière de droits des femmes,
eut pris prétexte du schisme de Saint-Amand Bazard (1791-1832) pour
se séparer des saint-simoniens, Sainte-Beuve, lui aussi, rompit avec Le Globe. Mais, tandis que Leroux abandonne la critique
littéraire en faveur de l’action politique et philosophique et
suit Carnot qui vient d’acquérir La Revue Encyclopédique, Sainte-Beuve, lui, s’éloigne du socialisme au profit de la
littérature. Il collabore au journal Le National et à La
Revue des deux mondes dont le moins qu’on puisse dire est qu’il
ne s’agit pas de publications militantes. Maintenant qu’il n’a
plus de compte à rendre à personne, Leroux, annonce franchement la
couleur. Dans l’éditorial de La Revue Encyclopédique, il
déclare, que pour lui, il s’agit désormais d’œuvrer « à
l’amélioration de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse et
à l’adoucissement du prolétariat en attendant sa disparition
complète ». Et il ajoute : « La classe
bourgeoise, la classe propriétaire… voila l’ennemie ». 19
« C’est
moi qui le premier me suis servi du mot de socialisme. C’était du
néologisme 20 alors, un néologisme nécessaire, écrit
Leroux. Je forgeai ce mot par opposition à individualisme
qui commençait à avoir cours. Il y a de cela environ vingt
ans. » 21
Dire
comme cela, tout à trac, qu’on est le créateur du mot a quelque
chose de provocant. Il est possible de donner quelques précisions
sur l’invention du mot. En Angleterre, en effet, l’expression
socialisme fut employée dans un article publié par The Poor Mans
Guardian en 1833 et signé « une socialiste ».
Dans l’esprit de cette journaliste, d’évidence, le mot est
synonyme d’owenisme. Leroux, de son côté, quand il
l’emploie, a nettement dans l’esprit la volonté de définir le
sens que devrait avoir le mot saint-simonien. Dans une « note
sur le mot socialisme », publié par un certain Evans en
Angleterre, note reprise par Leroux dans la Revue Encyclopédique,
on peut lire : « S’étant séparé de l’école
saint-simonienne pour revendiquer l’élévation du prolétariat et
l’abolition du privilège de la bourgeoisie, Leroux repousse à la
fois l’individualisme de l’économie politique anglaise, qui au
nom de la liberté, fait des hommes entre eux des loups rapaces et
réduit la société en atomes et le socialisme saint-simonien, cette
papauté nouvelle, écrasante, absorbante, qui transformerait
l’humanité, en une machine où les vraies natures vivantes, les
individus ne seraient plus qu’une matière utile au lieu d’être
eux-mêmes les arbitres de leur destinée. » 22
C’est
vrai, Leroux tente de concilier l’inconciliable. Toute son œuvre
est là. Pour l’heure, comme il a saisi le danger qu’il y aurait
à accréditer que socialisme voudrait dire saint-simonisme (ce
qu’on serait d’autant plus enclin à penser qu’on sait qu’il
a été saint-simonien), il n’a de cesse de dénoncer la
signification que le mot inventé par lui, a pris malgré lui, « Chaque homme, dit-il, reflète en son sein la
société tout entière, chaque homme est d’une certaine façon la
manifestation de son siècle, de son peuple, de sa génération,
chaque homme est l’humanité, chaque homme est une souveraineté,
chaque homme est un droit pour lequel le droit est fait et contre
lequel aucun droit ne peut prévaloir. » 23 La perfection de la société est en raison de la liberté de
tous et de chacun…
Et
plus loin, Leroux ajoute : « Quand j’inventai le
terme de socialisme pour l’opposer au terme d’individualisme 24,
je ne m’attendais pas que vingt ans plus tard, ce terme serait
employé pour exprimer d’une façon générale, la démocratie
religieuse. » 25
« Je
voulais caractériser par ce mot, la doctrine ou les doctrines
diverses, qui sous un prétexte ou un autre, sacrifiaient l’individu
à la société et, au nom de la fraternité, ou sous prétexte
d’égalité, détruisaient la liberté. Ce serait donc ne pas
comprendre ma pensée que de voir ici une critique du socialisme dans
l’acception nouvelle donnée à ce mot. » 26 Quelle est-elle donc cette nouvelle acception ? C’est celle
qui définit le socialisme comme la mise en œuvre du christianisme
par le biais duquel « la terre est promise à la justice et
à l’égalité ». C’est parce qu’il doute que ce
sens, le seul véritable à ses yeux, soit encore assez bien établi
dans l’opinion, que Leroux refusera longtemps l’appellation de socialiste. Mais si, un temps, il récuse cette qualification,
c’est que certains l’ont radicalisée au point de ne plus parler,
par son entremise, que d’un socialisme absolu qui à ses yeux, est
aussi répréhensible que l’individualisme absolu. Pour lui,
il n’est de socialisme que celui qui perpétue les notions de
famille et de propriété qui sont « les droits inaliénables
de chaque être humain ». Ce n’est que plus tard, quand,
au cours de ses travaux, il aura passé au crible la pensée des
saint-simoniens, celle de Malthus et des diverses utopies du moment,
qu’il contribuera à donner à ce mot un autre sens que celui qui
était le sien tout d’abord, qu’il acceptera enfin d’être
désigné ainsi.
Il
faut, un instant en revenir à Sainte-Beuve. J’ai dit que Leroux ne
comprenait pas son attitude. George Sand, non plus, ne la comprend
pas qui, à propos de Leroux écrit au critique : « Mais
vous étiez son ami ? » « — Oui, je l’aimais,
je faisais grand cas de lui, répond
Sainte-Beuve, mais dans une certaine mesure et non pas
comme d’un dieu ni d’un révélateur. Or c’est ce dernier rôle,
ni plus ni moins, qui le tenta… Il s’est mis à endoctriner des
femmes et des ouvriers, à avoir des dévots et des séides… Dès
que j’ai eu avéré ce point, il n’a plus été pour moi qu’un
charlatan chez qui le faux et le vrai s’amalgament selon les vues
et les intérêts de la circonstance… » 27 Tout de même, Sainte-Beuve va fort ! Comme si Leroux n’était
pas, précisément, le contraire d’un opportuniste. Au fait, si
l’un des deux prend le vent, ne serait-ce pas plutôt l’individualiste Sainte-Beuve ? Le socialisme,
pense-t-il, c’est bien beau, mais un écrivain n’a pas à se
mêler de cela. La littérature est au-dessus de ces choses et un
écrivain est un homme du monde ou n’est rien.
D’avoir
contré les Bourbons en la personne de Charles X a contribué à la
fortune des anciens collaborateurs du Globe. Ils sont devenus
qui ministre, qui ambassadeur ou conseiller d’État ou préfet. Et
puis, il est bon prince Louis-Philippe : au point, même, de
consentir à n’être appelé que Philippe-Égalité et, comme son
père, de ne prendre que le titre de « Roi
des Français » Non, vraiment, qu’a-t-on à lui reprocher ?
Ne vient-il pas d’accorder une Charte aux Français ? N’a-t-il
pas pris pour principal ministre le banquier Laffitte, chef du parti
libéral ? Mais d’ailleurs, à nouveau, des insurrections
éclatent. Ces gouvernants ne sont pas si libéraux.
CHAPITRE II. L’AMITIÉ PHILOSOPHIQUE AVEC
GEORGE SAND
Vladimir
Karénin (pseudonyme de Varvara Dmitrievna Komarova), David Owen
Evans, Armand Lubin, Jean-Pierre Lacassagne, Jacques Viard ont
longuement étudié l’influence de la pensée de Pierre Leroux sur
George Sand et montré l’importance qu’il a eu dans l’élaboration
de l’œuvre de la romancière. George Sand elle-même reconnaît
qu’elle a eu recours au vocabulaire même de Leroux : Evans
cite un passage où elle parle de la « perfectibilité »,
notion qui constitue le fond de la pensée de Leroux.
Les
années 1830 sont, pour George Sand, des années difficiles. On se
souvient de ce souhait qu’elle aurait formé d’entrer au couvent,
de son mariage forcé et de l’échec qui s’ensuivit. C’est
alors que, la voyant « chercher la vérité religieuse et la
vérité sociale dans une seule et même vérité » 28,
Sainte-Beuve eut l’idée de la présenter à Leroux. Dès lors, une
amitié de plus de trente ans liera les deux êtres, Leroux étant
apparu pour George comme son « sauveur ». Le fait
est qu’on ne sait pas lequel des deux sauva l’autre. Pierre
Leroux préserve George du désarroi dans lequel elle était tombée ;
George sort Leroux de la misère qui fût le lot de sa vie. Sans
l’aide discrète de George Sand, qui ne s’est pour ainsi dire
jamais démentie il y a fort à parier que cette misère l’aurait
emporté.
Un
aspect de la relation entre les deux écrivains mérite d’être
relevé : l’opinion dans laquelle Leroux tient Sand. Ne pas
faire valoir cet aspect des choses, c’est laisser entendre que, de
ces deux penseurs, le plus reconnu étant Sand, seul importe vraiment
le fait de savoir où elle a puisé ses sources d’inspiration.
C’est à Jean-Pierre Lacassagne que l’on doit d’avoir rétabli
un peu plus d’équité en la matière. Il est en effet, le premier
à avoir extrait de l’Encyclopédie Nouvelle le texte
« Conscience » paru en Juillet 1837, dans lequel Leroux parle, pour la première
fois des écrits de Sand :
« La
psychologie, comme on la définit et comme on l’enseigne
aujourd’hui dans nos écoles n’aura donc d’autre mérite, aux
yeux de la postérité, que de fournir un nouvel échantillon de
notre tristesse morale. C’est une sorte de Spleen, une variété de
Spleen ; c’est un Spleen comme celui de Werther, d’Oberman 29,
de René, d’Adolphe, de Joseph Delorme 30,
de Lélia. Le psychologue est le contemporain de tous ces infortunés,
il est leur philosophe : il n’a foi à rien, ne croit à rien,
n’affirme rien ; il s’observe ; eux aussi s’observent
mourir. Sa doctrine est comme leur poésie, elle renferme
implicitement la négation de la vie et le suicide… Que font les
poètes de nos jours, sinon nous peindre sous toutes les formes cette
souffrance de l’âme humaine cherchant sa nourriture, c’est-à-dire
son Objet et ne le
trouvant pas ? Il y a là-dessus, dans Lélia, un beau symbole.
Elle est dans une abbaye en ruines, au milieu de la forêt :
l’œuvre humaine est en ruines mais la nature est puissante, la vie
végétative coule à flots autour de Lélia et l’inonde, mais elle
en est inondée sans en être touchée, ou plutôt, elle se sent
périr d’inanition au milieu de cet océan de vie ; car cette
vie qui ne remplit pas la nature extérieure, ne saurait la nourrir.
Lélia, c’est une âme qui demande sa nourriture… Et nous dirons
aux poètes : au milieu de toutes les douleurs de cette époque,
vous calmez encore les cœurs les plus désolés pendant quelques
instants, parce qu’il a été donné à l’art, d’être doux
même en nous déchirant. Mais combien les hommes vous rendraient
grâce si vous aviez un chant d’espérance et de foi… Cependant,
vous êtes vous-mêmes les annonciateurs de la religion nouvelle…
Tout en vous enchaînant à ce deuil du passé, vous semez
abondamment des germes de renaissance, chantres de la mort de
l’ancien ordre social et en même temps fanfares éclatantes qui
appelez la vie nouvelle et préludez, sans en voir vous-mêmes
l’aurore, aux destinées promises de l’humanité. » 31
Ce
texte, George Sand qui s’est bien sûr identifiée à Lélia, n’a
pas pu ne pas l’entendre; elle va d’autant plus en tenir compte
qu’il intéresse autant la femme que l’écrivain.
C’est
cet illuminisme perceptible dans la pensée de Leroux qui a d’abord
attiré George, comme si seul ce remède de cheval était capable de
raviver sa foi défaillante. Elle éprouve le besoin d’adhérer à
quelque chose, ne serait-ce qu’à l’existence d’une
organisation préétablie du monde. Or, voilà que, tranquillement,
sans emphase, Leroux lui propose ce schéma. De longue date déjà,
il est vrai, notre homme est un familier de l’infini. Sans doute
vit-il une de ces réincarnations auxquelles il croit et que, fort de
l’une, sinon de plusieurs vie passées, il se trouve à l’étiage
de la Connaissance, de la Sagesse. Dans tous les cas, ce qui achève
de la convaincre, c’est que loin de tomber dans l’ésotérisme,
sitôt qu’il théorise, Leroux replace sa réflexion dans l’axe à
la fois d’un christianisme repensé et de la Révolution.
Evans
voit une première influence 32 de Leroux sur l’œuvre
de Sand dans Mauprat dont la première édition date de 1837.
C’est le premier des romans sociaux de Sand. Là, le Père
Patience, qui a lu La profession de foi du vicaire savoyard et Le Contrat Social, s’en prend à l’idée chrétienne du
renoncement pour ne plus défendre que l’égalité. Plus tard, à
propos de Lélia que Sand avait songé à remanier – Lamennais
le lui ayant conseillé – elle s’adresse à Leroux, le
priant de corriger les épreuves de la nouvelle édition, celle de
1838, non pas typographiquement mais philosophiquement. En
vérité, quand elle donne son livre à Leroux, elle sait déjà ce
qu’il va lui répondre. Il va la reprendre sur le ton lénifiant du
roman. Elle attend de lui une confirmation du bien fondé de la
préface qu’elle avait ajoutée à son livre et par laquelle elle
témoigne de cette conscience qu’elle a acquise : ce genre de
pleurnicheries romantiques participe de l’oppression, ne serait-ce
que dans la mesure où elles séduisent. Le seul moyen d’éviter le
piège du romantisme, c’est d’avoir du génie et encore. Même
les plus grands poètes, mal compris, peuvent avoir un rôle
pernicieux. La société broie les êtres, ils s’en plaignent ;
les artistes prennent le relais de ces plaintes en les embellissant.
Résultat : ils alimentent la machine qui broie, divise, lui
fournissent même une sorte de justification. Et tout cela pourquoi ?
Pour le plaisir d’être artiste, de plaire. Et si les romantiques
étaient des vieux routiers de la trahison ? C’est de cela
dont George finira par se rendre compte. C’est vrai, travaillant
pour elle, elle travaille contre les autres, ceux-là même auxquels
elle prétendait s’adresser d’abord : aux malheureux, aux
déshérités. Oui, il n’y a pas de doute, il faut changer de ton,
d’autant plus qu’on a souffert, précisément à cause de cela :
écrire comme on milite. Sa préface à son livre que George estime
d’un autre âge, c’est donc une excuse mais aussi un engagement.
Alors, tout incite à penser qu’elle a enfin saisi que le meilleur
moyen de contrer sa propre peine, c’est de toujours partager
davantage celle d’autrui.
Ainsi,
à partir de Mauprat, Sand changera d’orientation. Il s’agit
d’un roman du passé, d’un récit romanesque de cape et d’épée
mais qui, par en dessous, pour ainsi dire, au nez. et à la barbe de
son lecteur, sans qu’il ait seulement eu le temps de s’en rendre
compte, est devenu un pamphlet progressiste. Mauprat est sans
doute le seul roman du XIXe siècle qui soit tout à la
fois, ce qu’il est et son contraire. Claude Sicard, dans sa préface
au livre 33, insiste sur certains de ses aspects, à
la fois « autobiographie des tentations de son auteur » et, aussi, mystère du « roman policier permettant un
rapprochement possible avec l’œuvre célèbre d’un Gaston
Leroux ». S’il a tort de ne pas avoir un seul mot pour
Pierre Leroux, en revanche Sicard a raison quand il parle des
chapitres tout en « satire fort efficace des tribunaux » et en « attaques contre le clergé… ennemi redoutable », qui ne cèdent en rien à celles dirigées contre « la
Robe » et qui évoquent le style de certaines Provinciales.
Peut-être faut-il lire Sicard entre les lignes et reconnaître dans
cette phrase du roman qu’il préface : « la véritable
valeur qui constitue son unité profonde, dépasse le temps et
rejoint le poème de l’humanité », une allusion à
Leroux, auteur de De L’humanité, qui tient un rôle si
important dans la vie de George Sand ? Sans doute, tant il est
vrai que la thèse de Mauprat : le refus de croire à
l’hérédité du crime, est sans conteste inspirée de Leroux,
lequel a peu auparavant écrit : « Quels sont ces
hommes qui peuplent les prisons, les bagnes et dont le sang coule sur
les échafauds ? Vous savez l’influence de l’éducation et
l’empire des circonstances : la plupart de ces criminels
l’auraient-ils été si le hasard de la naissance les avait
favorisés ? Quel frein, d’ailleurs, avez-vous laissé à ces
misérables et quelle règle de vie leur avez-vous donnée ?
Vous avez effacé de leur cœur Jésus-Christ qui commandait aux
hommes, au nom de Dieu, de s’aimer les uns les autres. » 34
Sans
doute l’ésotérisme n’est-il pas absent de Mauprat mais
il est encore bien davantage présent dans Les Sept cordes de la
lyre (1839). En reprenant le thème de la lyre, il est possible
que Sand ait pensé à celle de La Nuit d’octobre d’Alfred
de Musset, parue en 1837. Mais il faut sans doute avoir plutôt à
l’esprit l’atmosphère du moment et « l’humanitarisme
laïque », lequel, dit Paul Bénichou dans Le Temps des
prophètes 35,
« prétendait généralement combiner à des vues positives, un
élément religieux reconnu indispensable à la vie de l’humanité. »
Il
est certain que c’est Leroux qui a incité George Sand à écrire Les Sept cordes de la lyre, livre dont elle justifie le
titre : « Écoute, écoute, ô fille de la lyre !
les divins accords de la lyre universelle… tout est harmonie, le
son et la couleur. Sept tons et sept couleurs s’enlacent et se
meuvent autour de toi dans un éternel hyménée. Il n’est point de
couleur muette. L’univers est une lyre. Il n’est point de son
invisible. L’univers est un prisme. L’arc-en-ciel est le reflet
d’une goutte d’eau. L’arc-en-ciel est le reflet de l’infini;
il élève dans les cieux sept voix éclatantes qui chantent
incessamment la gloire et la beauté de l’Éternel… » 36
En
dépit de ses prétentions à dire l’harmonie du monde, ce genre
d’écriture serait à prendre pour ce qu’il est : de l’eau
de rose si, déjà, n’y étaient perceptibles des allusions à
l’injustice sociale, thème majeur du moment et, plus précisément
même, à certaines idées force du militant socialiste Leroux. Par
exemple, Sand met dans la bouche de Méphistophélès : « En
un mot, je suis éclectique, c’est-à-dire que je crois à tout à
force de ne croire à rien » 37. Oui, il
est parfaitement possible de suivre l’évolution de la pensée de
Sand à partir de sa rencontre avec Leroux. Ainsi il apparaît
clairement que de livre en livre, elle se dégage de cet illuminisme
qui les avait d’abord rapprochés, pour se conformer d’une
manière toujours plus exigeante aux engagements politiques que
l’époque requiert de tous, singulièrement des écrivains. À cet
égard, Horace, son fameux roman qui a été refusé par Buloz
à La Revue des Deux Mondes, est tout particulièrement
significatif. Une bonne part du livre est consacrée à la
description des mouvements révolutionnaires dans les premières
années de la Monarchie de Juillet et de l’insurrection
républicaine de 1832. Le milieu carbonaro auquel Leroux a été
attaché est aussi décrit. Lacassagne, dans un article pourtant
intitulé De la Charbonnerie au Socialisme : l’itinéraire
politique de Pierre Leroux, reste très réservé sur la
participation de Leroux à la Charbonnerie. Voici ce qu’il écrit : « Initié en 1821, à vingt-quatre ans, par un de ses
anciens amis rennais, le docteur Roulin… Leroux reste un militant
effacé de la Charbonnerie française. Mais cette expérience de
l’action clandestine est, pour lui, décisive à plus d’un titre.
Certes, cette grande conjuration du libéralisme adolescent… n’est
pas une société strictement républicaine. Mais elle forme le
néophyte aux discussions politiques et surtout, elle le met au
contact avec l’élite de ce que, sans anachronisme, on pourrait
appeler la gauche française. Mais plus encore, nous retiendrons de
cette activité clandestine que, loin d’apprivoiser Leroux à
l’action violente, elle le convainc quasi définitivement, que rien
ne se fait de durable que dans la paix, par endoctrinement progressif
et sans heurts. Il rêve alors de substituer à la conspiration armée
une conspiration morale. » 38
Un
relatif silence suit la rupture entre George Sand et l’avocat
Michel de Bourges. Puis c’est le séjour à orque avec Chopin d’où
elle rapportera Spiridion, un roman de mystique
révolutionnaire qu’elle dédicace à Leroux en ces termes : « Ami et frère par les années et maître par la vertu et
la science, agréez l’envoi de mes contes, non comme un travail
digne de vous être dédié mais comme un témoignage d’amitié et
de vénération » 39. En dépit de cette adresse, à partir de maintenant, les rôles
vont s’inverser. S’il est avéré que Leroux a inspiré George,
cette fois, c’est elle qui le mettra sur la voie, l’incitant à
écrire De l’humanité. En vérité, tout se passe chez
Sand, comme si, à chaque période de déception amoureuse – avec
Chopin les relations ont tourné à l’aigre – correspondait
un retour aux idéaux du socialisme. Rien de tel, en effet, qu’un
amour malheureux pour vous faire voir le monde comme on ne l’a
encore jamais vu. Chez certains, il n’est pas de lumière plus
éclairante que celle de la peine. Ce monde, pour toujours mieux le
voir, cette femme déçue a trouvé en Leroux un homme qui le lui
montre.
Le
canevas de Consuelo n’est pas sans évoquer celui de Spiridion. L’un des héros, Albert, se persuade d’être la
réincarnation de Jan Žižka,
héros national de Bohème, qui, au XVe siècle, fut
le chef militaire des Hussites. Il n’aura de cesse, réfugié dans
une grotte, d’y revivre sa vie antérieure et, comme lui, de
parvenir à éprouver la souffrance des opprimés écrasés par
l’injustice. Certaines parties du livre, comme par exemple, la
discussion entre Consuelo et Albert, sont directement inspirées de
Leroux. C’est ce dont témoigne, entre beaucoup d’autres, ce
passage : « La philosophie matérialiste a pu prononcer
que toute puissance étant brisée à jamais par la mort, les morts
n’avaient pas d’autre force parmi nous que celle qu’il nous
plaisait de leur restituer par la sympathie ou l’esprit
d’imitation. Mais des idées plus avancées doivent restituer aux
hommes illustres une immortalité plus complète et rendre solidaires
l’une de l’autre cette puissance des morts et cette puissance des
vivants qui forment un invincible lien à travers les
générations ». 40
En
ce qui concerne La Comtesse de Rudolstadt, le roman qui fait
suite à Consuelo, il y est beaucoup question des sociétés
secrètes, des Francs-maçons, aussi bien que des Rose-Croix. Il est
frappant, de constater, singulièrement dans La Comtesse de
Rudolstadt, que leur auteur parvient à replacer l’ésotérisme
de tous ces mouvements dans un courant de pensée socialiste.
D’ordinaire, on est trop enclin à tenir ces sectes pour
antirévolutionnaires, travaillant sinon à une régression, du moins
à une stagnation de la société. Cette fois, tout au contraire, et
c’est la que l’influence de Leroux se fait sentir, ces mouvements
sont tous considérés comme des « laboratoires
souterrains » où se prépare la Révolution française, « les creusets de l’avenir ». George Sand nous
invite même à penser que Leroux, sous l’empire duquel elle se
trouve, n’a vu dans ces sectes, comme d’ailleurs dans « les
saintes hérésies du Moyen Age », comme elle les appelle, que des témoignages de la volonté de
revenir à l’origine même de la Parole. « Si vous
me demandez dans quelles conditions… je place le bonheur de la
femme… écrit-t-elle
dans une lettre à une amie… je vous répondrai que, ne pouvant
refaire la société et sachant bien qu’elle durera plus que notre
courte apparition actuelle en ce monde, je place… le bonheur de la
femme… dans un avenir auquel je crois fermement et où nous
reviendrons à la vie humaine dans des conditions meilleures, au sein
d’une société plus avancée, où nos intentions seront mieux
comprises et notre dignité mieux établie. Je crois à la Vie
éternelle, à l’humanité éternelle, au progrès éternel et
comme j’ai embrassé, à cet égard, les croyances de Pierre
Leroux, je vous renvoie à ses démonstrations philosophiques.
J’ignore si elles vous satisferont, mais je ne puis vous en donner
de meilleures. Quant à moi, elles ont entièrement résolu mes
doutes et fondé ma foi religieuse. » 41
En
réalité, Leroux va plus loin encore que George Sand ne le laisse
entendre. Rien, en fait, n’empêche de le tenir pour un adepte de
Basilide et de son disciple Valentin, gnostiques paléochrétiens
qui, à Alexandrie au début du IIe siècle, prêchaient
que la rédemption pouvait s’opérer par une série de
métempsychoses. « Ainsi de toute nécessité… écrit-il… il faut admettre ou le système indéterminé des métempsychoses,
ou le système déterminé des renaissances de l’humanité, que je
soutiens. Il n’y a pas de faux-fuyants pour échapper à ce
dilemme. Or, de ces deux systèmes, le second est infiniment plus
probable que le premier… le seul système probable est celui de la
perpétuité des individus au sein de l’espèce ». 42
En
réalité, plutôt que celle de Basilide, Leroux avoue l’influence
des théosophes. Il souscrit à l’idée de « l’homme
universel » chère à Antoine Fabre d’Olivet qui explique
la mort comme un simple « passage à un autre état » et démontre les « retours périodiques » des « âges du monde ». Il est aussi convaincu par la
palingénésie à laquelle Pierre-Simon Ballanche se réfère tout en
l’assortissant d’une conception transformiste. Mais, plus encore
que de ces hommes-là, plus encore que de Leibniz, Leroux se réclame
de Lessing (1729-1781) qui, dans De l’éducation du genre
humain, fut le premier des philosophes allemands de l’époque
des Lumières à associer le concept de la métempsychose à celui du
progrès du genre humain. Là, on s’en doute, est le point sur
lequel Leroux a été le plus conspué. Mais puisque nous ne nous
souvenons, dans la vie présente, d’avoir vécu sur cette terre
dans une vie antérieure, lui a-t-on rétorqué, c’est bien la
preuve que nous ne renaissons pas dans l’humanité. Comme vaguement
lassé d’avoir à répondre à ce qui, pour lui, n’est qu’une
évidence, Leroux précise tranquillement : « Les
hommes s’attachent à une forme, à un nom, à une condition et ils
voudraient encore porter tout cela pendant leur éternité ?…
À quoi pourrait bien leur servir de s’immortaliser toujours dans
une seule forme, dans un seul nom, dans une seule condition… ?
Non ; la mémoire aurait l’inconvénient de nuire au progrès…
donc l’oubli des existences précédentes est nécessaire et
salutaire. » 43
De
cette perfectibilité – le mot revient inlassablement sous sa
plume – qu’il voit inscrite dans le message chrétien,
Leroux veut faire une religion, une philosophie et une méthode
d’analyse historique. Il se représente l’homme projetant une
image dont les « politiques », comme il dit,
doivent tenir compte sous peine de totalement faillir à leur
mission, une image qui le montre toujours plus libre et, parce qu’il
est chrétien (les deux mots, ici, pour lui n’en font qu’un),
davantage sauvé. Il précise :
« … Montesquieu,
plus praticien qu’eux tous, cherchait l’instrument de la
législation, Buffon faisait sortir son siècle de ses salons… et
poussait la poésie hors de l’académie, au sein de la nature.
Voila la vie qui était en eux, et que nous avons reçue d’eux.
Depuis les plus grands jusqu’aux plus faibles, chacun avait sa
mission. Et indépendamment du trait particulier de chacun, il
régnait chez eux tous un sentiment commun, le sentiment de
l’émancipation, de la liberté, de l’affranchissement. Mais ce
n’était pas seulement pour être libres, comme on l’a tant
répété, pour s’affranchir, pour se moquer des rois, des nobles
et des prêtres : c’était pour créer, pour organiser ;
c’était pour que l’Humanité vécût un jour de la vie nouvelle
dont ils recevaient le germe. Ce besoin naissait de ce que l’esprit
qui était en eux se sentait appeler à créer. » 44 Leroux est le premier à avoir donné à ce besoin de créer, rang de
concept, besoin qui semble inhérent à la nature humaine et qui
consiste à créer coûte que coûte, quel que soit le domaine.
Ainsi,
le propos de Leroux est-il de nous démontrer qu’on peut
parfaitement croire à une certaine forme de résurrection sans pour
autant être un illuminé. Il veut nous faire partager la conviction
que la métempsychose peut être tenue pour un des maillons obligés
du raisonnement d’un chrétien appliquant son attention à décrire
avec la logique la plus simple et la plus claire, la marche
harmonieuse de l’univers.
Que
Leroux soit un philosophe, George Sand n’est pas la seule à le
savoir. Le journaliste Louis Viardot, lui aussi, en est persuadé qui
écrit le 9 septembre 1838 dans Le Siècle : « Après
le grand ouvrage de critique philosophique qu’il vient d’achever
(De l’humanité), le
moment des travaux dogmatiques est arrivé pour lui. Maintenant qu’il
a renversé la philosophie à la mode (l’Éclectisme), la
philosophie du jour qu’il jette sur la place demeurée vide, sont
les fondements de la philosophie, peut-être de la religion de
l’avenir ». Une aussi vaste entreprise suppose des moyens
finalement considérables et Viardot qui a assorti son admiration
d’une aide financière substantielle, ne pourra en assumer les
charges jusqu’au bout. C’est alors que George reviendra, George
qui non plus ne dispose pas des ressources financières nécessaires
mais qui a plus : outre sa foi en Leroux, une volonté
inébranlable de faire triompher la cause qu’ils défendaient l’un
et l’autre. Ainsi, pour l’aider, elle n’hésite pas à
emprunter, fait de la voltige. Leroux, à cette occasion, lui parle
de « cette situation que nous avons faite naïvement, vous
et moi, en obéissant à des idées qui nous dominent ». À
ce sujet, Jean-Pierre Lacassagne insiste, dans sa préface à la Correspondance entre Leroux et George Sand 45, sur le paradoxe que, déplorable financier quand il s’agissait
de ses propres intérêts, Leroux défenseur de l’écrivain dans
ses conflits avec ses éditeurs, se montre un remarquable homme
d’affaires. Les médisances, bien sûr, n’ont pas manqué à ce
sujet, d’autant plus que Leroux en était venu à considérer leur
gain à chacun comme finançant une bourse commune. Bien qu’il n’y
ait aucune preuve précise à l’appui de cette thèse, on est tenté
de répondre : est-ce que l’un et l’autre ne sont pas
embarqués sur le même bateau ? La preuve en est ce petit mot
sec de George envoyé à Buloz, le directeur de La Revue des Deux
Mondes après son refus de publier Horace (1842) : « Dans tous mes livres, jusque dans les plus innocents, vous
verrez une opposition continuelle contre vos bourgeois, vos hommes
réfléchis, vos gouvernements, votre inégalité sociale et une
sympathie constante pour les hommes du peuple » 46.
Toujours à propos de ce même livre qui met en scène une femme de
la noblesse, amoureuse d’un ouvrier, Sand rappelle qu’on l’a
accusée « d’aller étudier les mœurs des ouvriers tous
les dimanches à la barrière, d’où elle revenait ivre avec Pierre
Leroux ». À ce commentaire, Evans en ajoute un autre qui
précise : « C’était l’époque où l’on faisait
grief au socialiste (Pierre Leroux) de son entourage de femmes ». Et Evans de citer ce texte de Heine : « Comme les
femmes, même les plus enthousiastes d’émancipation, ont toujours
besoin d’un guide masculin, George Sand a pour ainsi dire un
directeur de conscience littéraire, une espèce de capucin
philosophe nommé Pierre Leroux. Cet excellent homme exerce
malheureusement sur le talent de la pénitente une influence peu
favorable, car il l’entraîne dans d’obscures dissertations sur
des idées à moitié écloses ; il l’engage à entrer dans
des discussions stériles au lieu de s’abandonner à la joie
sereine de créer des formes vivantes et colorées et d’exercer
l’art pour l’art » 47. À Proudhon qui,
avant de demander son pardon, traitait George d’« hypocrite,
scélérate, peste de la République, fille du marquis de Sade, digne
de pourrir le reste de ses jours à Saint-Lazare, et que je voyais
admirée, applaudie, Dieu me sauve, par les puritains de la
République », elle-même a répondu dans une lettre
traitant de l’influence exacte de Leroux dans l’élaboration de La Comtesse de Rudolstadt : « D’aucuns, comme on
dit en Berry, prétendent que c’est l’amour qui fait ces
miracles. L’amour de l’âme, je le veux bien, car de la crinière
du philosophe 48, je n’ai jamais songé à
toucher un cheveu et n’ai jamais eu plus de rapport avec elle
qu’avec la barbe du Grand Turc. Je vous dis cela pour que vous
sentiez bien que c’est un acte de foi sérieux, le plus sérieux de
ma vie et non l’engouement d’une petite dame pour son médecin ou
son confesseur 49.
Sand
et Leroux se sont l’un et l’autre publiquement étendus sur la
nature des liens qui les unissaient. On ne voit donc pas pourquoi on
irait chercher ailleurs des informations propres à éclaircir ce
point devenu d’importance dans l’histoire littéraire : « L’amour n’est bon, vrai, saint, qu’autant qu’il
donne et laisse à chacun l’unité de son être. Si vous m’eussiez
écouté, l’être en nous restait divisé, morcelé. De vous, cela
est évident, et de moi aussi. Car j’ai réfléchi depuis sur ma
vie, et je comprends maintenant votre vie par la mienne, et ma vie
par la vôtre. Vous m’avez fait faire en moi-même une confession
qui m’a donné une grande lumière et m’explique bien des choses.
Je ne suis pas un saint, comme vous dites. Mais j’ai foi que je
reviendrai par vous à la sainteté, et que je reprendrai l’unité
de mon être. Soyez-en sûre, vous me sauverez, parce que nous nous
sauverons. » 50
Leroux
a témoigné de sa volonté de ne pas scinder la vie en deux :
l’une romantique, réservée à l’amour et l’autre qui
relèverait de l’analyse sociologique, de la vie quotidienne et du
travail. De son côté, George Sand a, pour ainsi dire, fait écho à
la manière dont Leroux envisageait le rapport entre les sexes quand
dans Le Marquis de Villemer, elle écrivit : « Caroline
avait un grand courage et une invincible fierté. Elle aide dans son
travail un savant, homme simple qui a voué sa vie à ses
convictions. Doutant de lui-même, il n’aurait sans elle, ni élan
ni inspiration. Aucune pensée d’amour entre eux d’abord durant
des mois où, avec une confiance tranquille, une conscience pure, un
désintéressement à toute épreuve, elle conçoit l’idée de se
vouer à lui sans aucune réserve et pour toute sa vie… Elle avait
une remarquable clarté de jugement, jointe à une faculté rare chez
les femmes : l’ordre dans l’enchaînement des idées. Il se
trouvait en face d’une intelligence supérieure non créatrice mais
investigatrice au premier chef, précisément l’organisation dont
il avait besoin pour donner l’équilibre et l’essor à sa propre
intelligence… (Vient le jour où) … elle est pour lui, non
une autre personne agissant à ses côtés mais son propre esprit
qu’il sentait vivre en face de lui… Ils se sont identifiés l’un
à l’autre au point de penser ensemble ». 51
Si
Leroux est persuadé que George a dans l’âme « une
immense exigence morale », de son côté, Sand voit bien la
belle droiture de Leroux. Elle sait que, à la mort de son père,
s’il a dû trouver un emploi d’agent de change, il l’a vite
abandonné, conscient « qu’on ne pouvait gagner cet argent
en restant honnête ». En pensant que Leroux est la
transparence même, Sand ne se trompe pas. S’il est typographe,
c’est qu’avec ce métier, il a trouvé son climat d’élection.
C’est dans le creuset des imprimeries que se sont élaborées les
premières véritables résistances ouvrières. Henri Mougin a eu à
ce sujet, une formule heureuse : « C’est chez les
imprimeurs que, par une décision commune des maîtres et des
ouvriers, commence la révolution de 1830… et dans chaque journée
révolutionnaire, le plomb des caractères d’imprimerie se
transforme en balles de fusil ». 52 C’est cette démarche qui, non seulement a fait de Leroux un
révolutionnaire mais l’a identifié à cette Révolution. Qu’il
se soit toujours prononcé en faveur du pacifisme n’y change rien.
En fait, tout porte à croire que, pour lui, c’est par la façon
qu’a chacun de mener sa vie personnelle que la Révolution se
réalisera, par ce biais là d’abord et non par les armes et la
violence.
On
n’en finirait pas de relever tous les témoignages que Sand a
donnés de ce qu’elle doit à Pierre Leroux. Ses déclarations sont
à ce point dithyrambiques qu’il est difficile de ne pas les citer
toutes. C’est ainsi, qu’après avoir avoué qu’elle n’avait
cherché qu’à « traduire la philosophie du maître », elle assura qu’elle n’était qu’un « pâle reflet de
Pierre Leroux, un disciple fanatique du même idéal, mais un
disciple muet et ravi devant sa parole, toujours prêt à jeter au
feu toutes ses œuvres pour écrire, penser et agir sous son
inspiration ». « Avez-vous lu Consuelo,
écrit-elle en 1843, il y a de biens ennuyeux chapitres,
ils sont de moi. Il y a aussi des pages magnifiques, elles sont de
lui ». Elle ira jusqu’à se proclamer « le
vulgarisateur à la plume diligente et au cœur impressionnable qui
cherche à traduire dans ses romans la philosophie du Maître » 53.
En fait, George Sand n’a fait qu’accomplir la mission sociale et
religieuse qui lui avait été confiée par Leroux, « ami et
frère par les années, père et maître par la vertu et la
science » 54.
Sainte-Beuve
qui ne se doutait pas de l’importance qu’allait prendre cette
amitié entre l’écrivain et le philosophe, finalement se
regimbera. Il l’avouera tout net dans des lettres ou des propos
qui, portés à la connaissance des intéressés, viseront d’abord
à les atteindre. Pourquoi cette méchanceté gratuite à l’égard
de cette bonne pâte de Leroux ? Alors, George qui, à son tour
ne comprend plus, prend sa belle plume et lui écrit : « Que
s’est-il donc passé pour que vous disiez de Leroux : il me le
paiera ? N’est ce pas toujours le même homme ? Et vous,
n’êtes-vous pas toujours le même homme ? C’est vous qui le
premier m’avez prononcé le nom de Leroux et qui m’avez
enthousiasmée pour Monsieur de Lamennais ; c’est à vous que
je dois, après les orages dont vous m’avez aidée à sortir,
d’avoir cherché ma voie dans des sentiments moins individuels et
dans des hommes qui, pour moi, devenaient des idées. Je m’étais
toujours souvenue du sauveur que vous aviez imaginé de me proposer.
Ce sauveur, c’était Leroux et cette idée qui vous vint (je
n’exagère pas, mon ami), m’a semblé depuis un éclair de génie
de l’amitié; car Leroux, vous l’aviez pressenti et deviné,
était l’intelligence qui pouvait suppléer aux défaillances de la
mienne. Ma vie intellectuelle est composée de vous, de Monsieur de
Lamennais et de Leroux ». 55 « L’éclair de génie de l’amitié » est beau. Il
est surprenant, aussi, que ce soit Sainte-Beuve qui ait suscité
l’expression. Il faut chercher la réponse à cette question que
George lui pose, entre les lignes de la vie du critique. Le fiel de
Sainte-Beuve, perceptible dans ses lettres, cache à peine le
désarroi d’un être mal-aimé que révélera « l’affaire » avec Adèle Hugo. En regard de la belle cohérence de Leroux, le
versatile Sainte-Beuve ne fait pas le poids. « Ce qui, plus
profondément que tout, a attaché George, c’est le caractère à
la fois stable et progressif des convictions de Leroux ». Cette
remarque de Lacassagne est pertinente. Elle invite à imaginer George
mettant en quelque sorte le philosophe à l’épreuve et lui, non
seulement ne la décevant pas, mais, stimulé, affermissant de
surcroît ses convictions.
Enfin,
le moment est arrivé où l’un et l’autre ne sont plus dans un
rapport de maître à élève, mais où l’un autant que l’autre,
par affection autant que par estime, se confortent dans leur lutte et
leur volonté de continuer à croire en l’Homme. Cette confiance,
elle aussi, ne fait-elle pas partie de leur combat commun ? « Soyez encore plus bête et donnez quelquefois signe de
vie, écrit-il à son amie. Cela
me fait tant de bien que j’ai tant besoin d’un mot
d’encouragement de vous, pour supporter la vie. Mais le courage de
bien vivre… Ce que j’entends par “bien vivre” ce n’est pas
rester pur de toute fraude et de toute vanité. Il me semble que ce
n’est pas malaisé quand on est né comme cela; mais c’est de ne
pas devenir injuste, misanthrope, découragé de la bonté, ennemi
des hommes à la façon de notre pauvre Jean-Jacques. On voit tant de
choses laides, sales, étroites, tristes, piètres, comme on dit en
Gascogne, que l’on se sent parfois tout effrayé, enfin tout prêt
à renier la fraternité humaine, au moins celle d’une partie de
l’humanité ».
Il
faut préciser encore que si George Sand a, en effet, parlé de « la
terre de Leroux », elle a aussi évoqué « le ciel
de Jean Reynaud », « l’univers de Leibniz » et « la charité de Lamennais ». Et puis, on peut
citer aussi cette critique, celle-ci implacable, formulée par Balzac
dans une lettre à Madame Hanska où il parle « du train
philosophico-républico-communisco-Pierre-Lerouxico-germanico-deisto-sandique
qui s’est arrêté net » 56. Balzac
ironise. Mais on sait que l’auteur de La Comédie humaine ne
défend pas les mêmes idéaux que Leroux, qu’il est même
réactionnaire.
Enfin,
on doit évoquer le texte d’Alexandrian 57 sur
Leroux dans Le Socialisme Romantique, qui voit en lui le
béotien de la Creuse, un autodidacte, quelqu’un sans doute au cœur
grand et généreux mais qui n’eût jamais pu prétendre retenir
l’attention de ses contemporains si George Sand ne l’avait
formellement tenu en estime. Alexandrian utilise une formule dont on
le sent content : « Il faisait des livres à George
Sand comme il faisait des enfants à sa femme ». Pour ce
qui est du nombre de livres, Alexandrian est encore au dessous de la
Vérité. Leroux, de ses deux mariages a eu neuf enfants, tandis que
les livres dont George lui serait redevable dépassent la dizaine.
Alexandrian a été jusqu’à prétendre que « la plus
belle œuvre de Pierre Leroux, ce ne sont pas ses livres mais George
Sand dans sa meilleure période ». Mais qui peut le
croire ?
CHAPITRE III. LE TYPOGRAPHE DONNE AUX MOTS LEUR
POIDS DE PLOMB
L’histoire
de ses idées, Leroux l’a vécue comme un roman et un combat. S’il
y a bien eu récit et récit mouvementé, la responsabilité n’en
incombe pas à Leroux. Lui n’a pas varié mais a toujours progressé
sur la même voie et même avec une certaine pesanteur. Ce n’est
pas un intellectuel qui fait des fioritures, peaufine de subtils
échafaudages. Il va son chemin, et c’est cette lourdeur, cette
force de conviction qui confère à son corps de doctrine toute sa
véritable épaisseur métaphysique. Si les idées sont sources
d’aventures, c’est parce qu’elles se volent, sont mises à mal
et qu’il faut les défendre, parfois au prix de sa vie.
Les
hommes du pouvoir manient tant les mots que c’est à se demander où
ils trouvent le temps de se livrer à de si subtils ajustements !
Ces mots, on les tourne, les retourne : ils font écran. À la
fin, c’est avec eux que s’assènent les plus mauvais coups portés
à la Nation. Dans un premier temps, le travail de Leroux consistera
à débrouiller l’écheveau, à dénoncer la supercherie. Passer au
sens, c’est aussi passer à l’attaque. Ainsi, rien de tel pour
atteindre un riche que de lui dire qu’il l’est. À croire qu’on
l’injurie. On a donc fait mouche. C’est bien mais ce n’est pas
assez. Sur la brèche du sens, Leroux ne doit pas l’être seulement
avec les riches, mais aussi avec ceux qu’un moment il a cru pouvoir
accompagner mais qui, sous prétexte de croire au progrès
industriel, ne sont pas d’authentiques socialistes. Il s’en
explique avec eux : « Pour que la formule de
Saint-Simon paraisse vraie, il faut entendre par “industriels”,
ceux que Saint-Simon avait en vue, c’est-à-dire les “directeurs
actuels de l’industrie” a, ceux qui, sans être institués par
l’État, sans missions officielles, sans grades, sans fonctions,
sans titres et si je puis m’exprimer ainsi, sans épaulettes,
commandent pourtant à toute l’armée industrielle. Oh ! S’il
s’agit bien de ceux-là, la formule est exacte. Il est certain que
les possesseurs de richesses, c’est-à-dire de produits accumulés,
sont parvenus à se délivrer de l’esclavage qui pesait sur eux…
Mais que ces propriétaires, ces capitalistes, ou si on veut “ces
industriels” soient capables d’organiser un
véritable gouvernement, c’est ce qu’au nom de la nature humaine,
nous leur refusons de pouvoir faire ?… Après y avoir beaucoup
réfléchi, nous ne croyons pas que l’Europe soit affranchie de
l’esprit de la féodalité, que l’époque féodale soit terminée,
qu’une ère nouvelle ait commencé en 1789, et autres lieux communs
semblables qu’on répète à satiété depuis cinquante ans. » 58
C’est
précisément cela le langage : une façon de s’en tenir
strictement au sens des mots, de serrer leur signification au plus
près. On ne le peut efficacement qu’en mettant sa propre vie en
cause. Leroux en sait quelque chose qui écrit à partir de sa vie
difficile de typographe – risquons la métaphore – qui
donne aux mots leur poids de plomb.
Les
saint-simoniens ont découvert le machinisme, « l’industrie », comme ils disent et voient en elle la panacée. Ils la brandissent
comme un hochet et croient pouvoir tout résoudre d’un coup de
baguette magique. Le percement de l’Isthme de Suez, la colonisation
de l’Algérie, la construction des premières voies de chemin de
fer ne leur donnent-ils pas raison ? Les saint-simoniens ne
sont-ils pas les Futuristes du XIXe siècle ?
Leroux, dans Malthus et les Économistes évoque ces « wagons
triomphateurs » 59 dans lesquels les
saint-simoniens ont même l’ambition de « parcourir la
Chine ».
Mais
pour lui la première de toutes les préoccupations devrait être
plutôt que… la Science pour la Science, le sort de l’individu.
C’est d’ailleurs cela le Pianotype. En effet, l’idée de base
qui a inspiré la trouvaille est de libérer l’homme de l’emprise
d’un travail inhumain. Et si, paradoxalement, c’était parce que
tel était son point de départ qu’il avait échoué dans son
projet ? Il n’a pas trouvé la somme nécessaire au
financement d’un prototype.
Ainsi,
contrairement à ce que Leroux a cru tout d’abord, les
saint-simoniens n’entendent pas son langage. Ils ont trouvé leur
mage. On l’appelle le « Père Enfantin ». Ils
l’écoutent, ravis. Que dit le prophète du « matérialisme » dans son Livre nouveau 60,
véritable évangile de la secte ? « La
science de l’homme » et « la vie éternelle » se confondent et le
bouleversement industriel auquel on assiste le prouve. Et si les
développements de cette science renforçaient l’injustice ?
Cette petite phrase, à la fin de toutes ses biographies : « Sa
philosophie anima plusieurs des grandes entreprises du Second
Empire », est la plus claire réponse d’Enfantin. Sans
doute, Leroux lui aussi inscrit-il dans le droit fil l’un de
l’autre, la science de l’homme et la vie éternelle. On peut s’en
tenir à De Dieu ou de la vie considérée dans les êtres
particuliers et dans l’Être universel (1842). En effet, de sa
conception de Dieu, Leroux donne une définition aussi exhaustive que
possible : « Toute notre connaissance des êtres
particuliers repose sur un certain contact de fluides généraux de
l’univers ou, en d’autres termes, n’a pas lieu sans
l’intervention de la vie universelle. L’intervention de cette vie
universelle, dans chaque acte de la vie des êtres, a été perçue
dans tous les temps. Cette intervention est au fond de la théologie
chrétienne. » 61 Votre doctrine est
panthéiste, ont rétorqué les saint-simoniens. Panthéistes, c’est
vous qui l’êtes, a répondu Leroux, vous qui entretenez
l’injustice.
Qu’avez-vous
à ergoter, ont repris en substance les saint-simoniens ?
Comment ne voyez-vous pas que votre pauvre petite argumentation est
balayée par le « pas napoléonien » que la
Science va faire faire à l’humanité et grâce auquel, en même
temps que les autres, se résoudra le problème de l’Égalité ?
Si ce pas est vraiment « napoléonien », prétend
Leroux, alors c’est un faux-pas. En effet, avec combien de morts
pourra-t-il s’accomplir ? Autrement dit, combien de vies
humaines le percement de Suez coûtera-t-il, combien la conquête de
l’Algérie ? Et si vos ouvriers qui construisent les lignes de
chemin de fer étaient les esclaves des temps modernes ? En
dépit de ses bonnes intentions, bien qu’il l’ait prétendu, le
saint-simonisme n’a pas proposé un véritable et Nouveau
Christianisme. 62 Au reste, après sa mort, ses disciples devenus des hommes
d’affaires importants, qui travaillaient, par exemple avec les
banquiers Pereire à la création et au développement du Crédit
Foncier et du Crédit Mobilier, ont travesti sa pensée. « Saint-Simon, s’il vivait encore, écrit
alors Leroux, serait avec le peuple qu’il voulait
régénérer. Eux, ils sont passés dans les rangs de
l’aristocratie ; philosophes parvenus, ils ont crucifié la
philosophie sur toutes les croix, ils l’ont accolée à toutes les
chartes… ». 63 Il faut dire que cette trahison, sinon de sa pensée, du moins de
ses intentions, Saint-Simon lui-même y a prêté la main. Ce n’est
pas avec des intentions qu’on élabore une doctrine sociale.
Puisque
le saint-simonisme n’est pas la réponse à la question qui
assaille toujours l’humanité près d’un demi-siècle après la
Révolution, puisque, même, il risque d’introduire une très grave
confusion dans les esprits, il faut revenir à Diderot et d’Alembert
avec leur Encyclopédie et poursuivre leur oeuvre. Le besoin
s’en fait d’autant plus sentir, que le machinisme a déjà
depuis, et très sérieusement, modifié les données de tous les
problèmes.
Quand
on débute une œuvre d’une telle envergure, on ne saurait être
gêné aux entournures. Leroux décide donc qu’il aura sa propre
revue. Il n’a jamais eu les moyens de ce qu’il a entreprend mais
il est quelqu’un qui force le destin, comme si, seule, importait
vraiment la volonté de réussir. Financièrement, la situation
s’arrange. Si Alexandre Lachevardière, son ami d’enfance, n’a
pas voulu du Pianotype, mais avec enthousiasme, il a accepté de
financer L’Encyclopédie pittoresque à deux sous (Paris,
1834) 64, dont le titre témoigne que les directeurs,
Pierre Leroux et Jean Reynaud, ont tout de même dû en rabattre. Ce
n’est pas l’ambition qui manque et le sous-titre le prouve : « L’Encyclopédie nouvelle ou dictionnaire philosophique,
scientifique, littéraire et industriel, offrant le tableau des
connaissances humaines du dix-neuvième siècle ». Le monde
pour « deux sous » : ce n’est pas rien. « Nous avons pensé disent les directeurs de la publication,
concourir autant qu’il est en notre pouvoir au perfectionnement et
à l’extension de la civilisation ». Il voit trop grand,
votre Leroux, dira-t-on ? Son propos, précisément, est de
ramener les hommes « au point de vue de la terre ».
Leroux, un nouvel Épicure ? « Ce qu’Épicure a eu de
plus que la plupart de ses imitateurs anciens et modernes, c’est la
sainteté avec laquelle il a fait son œuvre, s’efforçant
d’instaurer le contentement de la terre d’une façon toute
religieuse », 65 écrit-il. Un Épicure
chrétien ? Il n’y a aucune raison pour que l’Epicurisme
rejette la religion ni que « notre ciel » ne soit
pas notre bon vieux ciel terrestre, que notre bonheur ne soit pas
béni bien que terrestre. Le problème, et il est d’importance, et
que la doctrine d’Épicure ne peut être comprise et donc adoptée,
que « d’un petit nombre, choisi parmi ceux qui ont à leur
disposition une portion suffisante des jouissances de la terre » 66.
Si comme Épictète, Épicure avait été esclave, il n’aurait
sûrement pas élaboré un tel système.
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre
1. Les points sur les « i » du mot Socialisme
Chapitre
2. L’amitié philosophique avec George Sand
Chapitre
3. Le typographe donne aux mots leur poids de plomb
Chapitre
4. De la Perfectibilité à la Palingénésie
Chapitre
5. Le socialisme de Leroux à l’épreuve des faits
Chapitre
6. 1848 : une Révolution pour rien ?
Chapitre
7. Londres repaire des traîtres à l’amitié
Chapitre
8. Le Retour
Annexe. Pierre Leroux, 1831. « Aux
philosophes – de la situation actuelle de l’esprit humain ». La revue encyclopédique.
Bibliographie
Notes
Éditions Chryséis, 2014. ISBN :
979-10-91609-06-7 (première édition : Paris,
Klincksieck, 1988. ISBN 2-252-02574-3)
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